HISTOIRE
DE GIVORS ET DE SES ENVIRONS
ANTIQUITE
A
l’époque pré-romaine,le territoire occupé par les Ségusiaves
était limité au Nord par l’Ardière , affluent de la
Saône , et au Sud par une frontière passant entre Loire
et Givors .
Le
réseau routier avait pour axe majeur la voie qui, née
sur les quais du Lacydon marseillais , remontait la
rive gauche du Rhône en s’en tenant éloignée , pour
le franchir finalement à Vienne afin d’éviter l’infranchissable
barrière fluide tendue du débouché de l’Ain à celui
du Gier .
Ce
carrefour gaulois à Vienne prendra une grande importance
après la colonisation romaine . La voie celtique de
la rive droite qui permettait d’atteindre Lyon fut appelée
la Voie Narbonnaise .Monsieur Chapotat , chercheur auprès
du C.N.R.S. s’est efforcé de retrouver les traces d’une
viabilité ancienne .
« De
Vienne à Givors , le chemin primitif part de Pierres-Plates
et gagne la Croix-du-Pont près de laquelle se trouve
cette ancienne Garde de Loire , gagne le hameau de Bans
, reprend de la hauteur par la côte de Bataillon , suit
le plateau vers la centrale électrique et le cimetière
de Givors et plonge finalement vers la partie la plus
ancienne de la ville pour aboutir au Château féodal
dans l’enceinte duquel il entre sous le nom de « Chemin
de Condrieu à Givors » par la porte de la « Fraity »
. Il a évité les deux défilés de Vienne et de Givors
au fond desquels la route nationale N°86 est périodiquement
submergée et , du même coup, a pénétré dans le pays
des Séguedilles » .
Pour
la traversée de Givors , l’itinéraire s’identifie très
facilement avec la rue Vieille du Bourg et , pour ne
pas perdre le contact avec le sol ferme , s’oriente
de plus en lus vers le nord-ouest et permet d’atteindre
le Gier au gué de Montrond .Au-delà , le chemin passe
vers la Tour de Varissan , redescend au Puy de Montgelas
et la Reillère , traverse Sourzy , Montagny , puis Brignais
.
Dans
notre pays , des gallo-romains , placées entre deux
villes romaines prestigieuses : Vienne et Lyon , ont
mis en valeur plusieurs sites de la voie Narbonnaise
.
BANS
(ou BAON au Moyen-Age) offrait des possibilités de vie
sur le versant sud , bien ensoleillé de l’éperon rocheux
, partie extrême du massif du Pilat dominant le Rhône
: culture du blé sur le plateau , viticulture sur les
coteaux , possibilité de franchir le Rhône et de s’associer
à la navigation fluviale déjà bien active . Un cippe
romain inscrit , conservé au cimetière de Bans , témoigne
de cette lointaine occupation .
GIER-BORD
, GIVORD, ou GIVORS était une petite communauté installée
au pied du versant nord de l’éperon rocheux , en bordure
d’une plaine alluviale « bancs de graviers portant vorgines
et saulaies sibmergées lors des crues » formée par le
confluent des rivière Merdary et Gier avec le Rhône
. La pêche , associée à une activité agricole sur les
replats et dans les vallons abrités , a pu assurer la
vie de plusieurs familles .
LA
FREYDIERE , proche du gué de Montrond , assurait le
passage du Gier , éloigné de son embouchure par deux
kilomètres afin d’éviter les difficultés qu’occasionnaient
les crues . Près de ce gué , vers ce qui fut l’écluse
Jean Faure , les restes d’une habitation révélaient
au XIXème siècle une mosaïque modeste ainsi que des
médailles d’argent à l’effigie des empereurs romains
.
La
Tour de Varissan était un domaine important placé sur
cette voie ancienne , à mi-pente des versants et de
la colline de Montrond , ondulation extrême des Monts
du Lyonnais . Au pied de son versant nord , les coteaux
de Montgelas et de la Reygnière ont été cultivés par
une communauté importante . Des propriétaires ont dégagés
à trente centimètres sous terre des tombes
alignées , des pièces de monnaies , un sarcophage qui
fut utilisé comme abreuvoir et une statuette en bronze
qui fut donnée au Muséum de Lyon.
Toutes
ces communautés qui pouvaient pratiquer les échanges
par la voie Narbonnaise , grand axe routier , ont supporté
pendant plusieurs siècles des dominations variés . Nous
approchons d’une période trouble , précédant la féodalité
. Lors des invasions sarrazines , au X° siècle , de
puissants seigneurs furent intéressés par le site de
Givors .
La
Crête de l’éperon rocheux de Saint-Gérald offrait des
avantages défensifs . Le puissant seigneur que fut le
Baron de Montagny a peut-être créé ces tours qui survivent
dans les noms de lieux : Tour de Bans, Tour de
Varissan , Tour de Millery , protectrices
d’un carrefour
de routes . Plus certainement , un château de bois comme
il était coutume à cette époque , dominait la voie Narbonnaise
près de cette crête . Le nom du lieu dit La Motte ,
inscrit au cadastre de 1808 et dans les anciens actes
notariés , est révélateur de l’existence d’une motte
féodale . D’ailleurs une couche de bois brûlé fut découverte
lors d’un creusement d’une tranchée en 1941 , à trente
centimètres du sol . Une maison forte , appartenant
au seigneur de Montagny , était construite en face ,
sur l’autre versant du Merdary , pour surveiller cette
route de Condrieu à Lyon . Son ancienneté ne fut jamais
contestée par d’autres seigneurs plus puissants . C’était
un franc-alleu .
UN
SITE CONVOITE … UNE REGION TIRAILLEE..
En
l’an 1032 , notre province passa à l’empereur CONRAD
II le Salique et devint une province allemande . Un
siècle plus tard , le 18 novembre 1157 , l’empereur
Frédéric BARBEROUSSE reconnut que la partie occidentale
du diocèse de Lyon appartenait au royaume de France
avec les fleuves pour limites . Des vestiges de cette
lointaine époque ont survécut longtemps dans la langue
des mariniers qui avaient coutume de désigner par les
mots RIAUME (Royaume) et EMPI (Empire) les rives droite
et gauche .
La
période qui suivit fut marquée par les difficiles relations
entre le FOREZ et le LYONNAIS . Théoriquement , l’Ouest
de notre région dépendait des Comtes de Lyon et Forez
alors que l’Archevêque de Lyon exerçait sa souveraineté
sur l’Est du territoire . En fait , l’Église de Lyon
avait des terres jusqu’au cœur de la Ville de Lyon .
Cette situation , cette enchevêtrement de droits n’allaient
pas sans vives contestations et conflits toujours renaissants
.
Un
accord extrêmement important interviendra en 1173 .
L’Archevêque Guichard abandonnera tous ses droits dans
le Forez et le Roannais , tandis que le Seigneur Guy
, Comte de Lyon et Forez , cèdera à l’Archevêque toutes
ses possessions tant dans la ville de Lyon , que dans
ses environs , notamment Givors . Et par ce même accord
, le Seigneur Guy abandonnait son titre de Comte de
Lyon et Forez , pour se nommer seulement Comte du Forez
.Une seigneurie ecclésiastique était créée avec l’Archevêque
, lié au chapitre de la Cathédrale Saint-Jean comme
chef spirituel et temporel du Comté de Lyon .
La
voie Narbonnaise , axe routier , conduisait à ses possessions
plus au Sud , à Condrieu précisément , port fluvial
sur le Rhône . Le site de Givors présentait une double
importance , militaire et commerciale , pour assurer
une liaison sûre et régulière avec le fief de Condrieu
.
LE
PEAGE DE GIVORS
Un
grand moment de notre histoire locale sera l’an 1208
lorsque Renaud de Forez (1193-1226) , Archevêque de
Lyon , obtiendra par lettres-patentes du roi Philippe
Auguste le péage de Givors et de la Chance , « tamper
terram quam par aquas » . Le Carcabeau (ou pancarte
sur laquelle était écrit le tarif du Péage e Givors)
étudié par Guigue , relève les objets imposés et nous
surprend par la variété des marchandises transportées
sur le fleuve .
C’est
à ce moment là que se décidèrent avec netteté les éléments
de l’activité économique de Givors. Nous sommes à l’origine
de l ’élévation du bourg qui deviendra plus tard ville
importante . Car non seulement le péage imposa l’arrêt
obligatoire près du receveur appointé , mais il provoqua
l’entrepôt de certaines marchandises destinées ai « marché
de Givors » , aux pays de la vallée du Gier et des plaines
du Forez . Insensiblement s’est greffée une redistribution
régionale . Un modeste port fluvial naissait.
En
même temps , l’archevêque décidait d’édifier un château
en pierre sur l’emplacement choisi à mi-pente du coteau
Saint-Gérald , à cheval sur la voie Narbonnaise. De
même , il mènera toute sa vie une espèce de lutte patiente
de politique féodale d’accroissements et d’acquêts ,
d’alliances , d’échanges et d’enrichissement pour le
fortifier .
Un
fief ecclésiastique était créé à Givors , administré
par l’un des trente trois chanoines du Chapitre Saint-Jean
de Lyon , et ce jusqu’en 1789 .
LE
BOURG
Le
plan de la cité fut tracé selon les traditions anciennes
. L’axe Est-Ouest coupait perpendiculairement l’axe
Sud-Nord . Un quart de la surface était réservé au Château
et ses dépendances ; trois quarts aux habitations couvertes
de tuiles romaines et disposées irrégulièrement . Les
remparts protégeaient l’ensemble .
Le
chanoine , seigneur obéancier , possédant tous les droits
de haute , moyenne et basse justice , déléguait ses
pouvoirs à un capitaine châtelain et ne résidait pas
à Givors. Il n’entretenait guère le Château.
Satisfaction
ne sera obtenue que lorsque le Chapitre prendra la décision
de faire lui-même les réparations , quitte à se retourner
contre le responsable en retenant les sommes déboursées
sur son revenu .
Le
Chapitre de Lyon avait raison d’être soucieux . Pendant
la guerre de Cent Ans , des bandes plus ou mois organisées
ravagèrent notre région . La bataille de Brignais ,
en 1362 , les éloigna et Lyon fut protégé . Anse , plus
au nord fut pillée . Aussi le Chapitre permit-il en
1381 aux habitants de Givors de faire une collecte de
70 livres d’or à la charge de l’employer à la construction
d’un mur déjà commencé et à d’autres réparations, fortifications
et nécessités communes . Il mande au Châtelain de Givors
de prendre avec lui deux nobles et quatre notables bourgeois
.
Si
Lyon avait obtenu une charte communale en 1320 et Condrieu
en 1344 , ce ne sera que le 6 novembre 1434 que le Chapitre
de Lyon accordera aux habitants de Givors , sur leur
demande , la permission de nommer des syndics , à la
condition qu’ils ne pourront établir aucun impôts .
C’est ainsi que l’on prit l’habitude de se réunir et
de discuter des intérêts collectifs .
La
voie Narbonnaise reprit de l’importance au XVI ° siècle
, pendant les guerres de religion . Lyon était alors
aux mains des ligueurs catholiques tandis que Vienne
constituait un point d’appui occupé par les protestants
aidés des troupes royales . Givors était ainsi dangereusement
exposée entre les deux adversaires . Le 1° juillet 1591
, notre ville fut emportée par les troupes de Lesdiguières
et le château Saint-Gérald démantelé . Le rôle militaire
de Givors cessait. Une époque était terminée , une nouvelle
commençait .
HORS
DES MURS
Au
XII°siècle , les remparts ne pouvaient jouer aucun rôle
défensif . D’ailleurs , hors des murs , la place de
la Sablière devenait une place de marché très active
. En bordure , avait été élevée en 1646 la seconde église
Saint-Nicolas. Elle remplaçait l’humble chapelle
que les mariniers avaient autrefois consacrée à ce saint
, protecteur de la batellerie .De nouveaux commerces
venaient développer les échanges entre artisans de Givors
et paysans des paroisses voisines .
La
place , cœur vivant de la cité , était proche du péage
, toujours très actif , et du port de Givors, installé
au confluent du Merdary et du Rhône . Les entrepôts
de charbon des carrières de Rive-de-Gier se multipliaient
à un tel point que des contestations entre des groupes
rivaux provoquèrent un très long procès puisqu’il dura
de 1731 à 1740 .
Un
chroniqueur du temps de François 1° , Guillaume Paradin
, nous a laissé une image saisissante de l’activité
minière la vallée du Gier .
« A
Saint-Genis de Terre-Noire et à Saint-Chaumond sont
des mines de bon charbon de terre ; sy sont aussi à
Rive-de-Gier , mais non en telle quantité . Est merveille
de voir les habitants de ce pays qui en sont tous noircis
et parfumés pour l’usage ordinaire qu’ils en font en
leur chauffaige au lieu de bois ; dont in n’y a maison
, leur manger , pain ni vin , qui n’en soit parfumé
. Mais le principal profict qui en vient est des foyers
, au moyen de quoi est le Gierest fort fréquenté de
certaines races de pauvres étrangers forgerons , lesquels
ne demeurent guère en ce lieu , mais vont et viennent
ainsi qu’oyseaux passagers, même pour raison du
voisinage de Saint-Estienne de Furens en Forest . »
Mais
bientôt , l’extraction du charbon allait devenir elle-même
une industrie et l’économie de la vie givordine fut
profondément modifiée ; vers le XVII° siècle , la production
augmentant de plus en plus et devenant supérieure à
la consommation du pays de Rive de Gier , on songea
à se créer de nouveaux débouchés . Les regards se portèrent
sur le Rhône , et bientôt le charbon fut expédié sur
Lyon , Givors , Vienne et Condrieu .
LES
MULETS
C’est
à cette époque que s’établit entre Rive-de-Gier et la
vallée du Rhône le transport du charbon à dos de mulet.
Chaque bête de somme portait dans ses bâts une benne
de houille dont le poids peut être évalué à quatre-vingts
kilos . Une note datant des environs de 1760 énonce
que le nombre des mulets de bâts s’élève à 1200 . De
ce total , on peut raisonnablement estimer que les deux
tiers , soit 800 , étaient constamment en service ,
ce qui donne un service approximatif de 400 bêtes en
charge descendant à Givors alors qu’un nombre égal de
mulets remontaient à vide vers la mine . On doit supposer
qu’ils pouvaient accomplir deux voyages dans la belle
saison et un seul durant les jours courts , ce qui donnerait
une moyenne de quatre tonnes de minerai transporté quotidiennement
.
Le
nombre de muletiers était moins élevé que celui des
bêtes de somme ; nous ne possédons nul renseignement
à ce sujet , mais on peut le fixer à une centaine de
fait que l’on n’affectait pas un homme à la conduite
de chaque bête , les mulets étaient groupés par dix
, le second attaché à la queue du premier et le troisième
à celle du second , et ainsi de suite .
De
cette façon , un seul muletier conduisait dix bêtes
… Un train aller-retour de huit cents à mille bêtes
demandait donc environ cent muletiers … On s’imagine
aisément les différents tableaux que pouvaient offrir
aux regards amusés les mouvements de ces cortèges muletiers
: incidents au passage des gués , désordres provoqués
par des animaux rétifs , les objurgations violentes
des conducteurs , la rencontre de deux convois en sens
contraire , l’animation à la halte et celle plus grande
encore au départ . Les rives du Gier connaissaient alors
une belle intensité de vie , un mouvement inlassable.
LA
VERRERIE ROYALE DE GIVORS
Ce
charbon de terre , désormais abondant , va être à la
source de la prospérité de Givors . Pour comprendre
les causes de l’implantation d’une famille de verriers
à Givors , il faut se souvenir que toutes les verreries
étaient bâties à proximité des forêts , voire au milieu
de celles-ci .
Or
, vers le milieu du XVIII° siècle , une grande inquiétude
se répandit en France parmi ceux qui attachaient à la
prospérité des forêts un grand intérêt national .Les
bois mal aménagés , pillés ou détruits , commençaient
à manquer . De tous côtés , le Gouvernement portait
des défenses rigoureuses pour interdire la destruction
d’une si grande quantité de richesses . Le sort de la
marine et des constructions publiques en dépendait .
On chassa des forêts toutes les installations d’usines
qui dévoraient le bois et interdit toute création nouvelle
. Les verriers furent , parmi tous les industriels ,
les plus inquiétés . Dépossédés du seul combustible
qui , à cette date , fût encore abondant , n’ayant pas
encore les ressources que devaient leur donner sur la
surface du territoire la découverte et l’exploitation
des mines de charbon , quelques uns abandonnèrent leur
art , quelques autres cherchèrent un lieu plus favorable
.
L’un
de ceux-ci , Michel Robichon , maître verrier à Miélin
en Franche-Comté depuis 1729 , fut séduit par les atouts
qu’offrait Givors : la proximité du charbon de Rive-de-Gier
et le sable du fleuve . D’autre part le Rhône et la
présence d’une batellerie florissante lui donnaient
la faculté d’atteindre tout le midi de la France .
Pour
toutes ces raisons les sieurs Esnard et Robichon demandèrent
au mois d’avril 1749 à l’Intendant du Lyonnais l’autorisation
d’établir une verrerie à Givors . L’Intendant appuiera
très favorablement leur requête :
MM.
Esnard et Robichon ont travaillé toute leur vie aux
verreries en plusieurs endroits et notamment en Alsace
, sous les yeux de M. le Cardinal de Rohan , de la protection
duquel ils se flattent . Ils sont fort experts en cette
partie . Ils ont de gros fonds et attendent avec empressement
la fin de cette affaire parce que les fonds qu’ils destinent
et qu’ils gardent pour cet effet ne leur sont d’aucune
utilité .
Il
résulte de ces circonstances qu’on peut espérer , par
les connaissances qu’ils ont acquises , que la verrerie
qu’ils se proposent d’entreprendre aura un plein succès
, ou qu’au moins , si elle éprouve les mêmes malheurs
que les précédents , eux seuls en souffriront sans entraîner
dans leur ruine d’autres particuliers trop confiants
. Ainsi , Monsieur , en jugeant cet établissement utile
et nécessaire , je crois qu’on ne peut mieux le confier
qu’à ces gens entendus , riches et en réputation de
probité .
Quant
à son utilité , elle est certaine et démontrée depuis
la chute de la verrerie de Roanne . Il n’y en a point
dans toute la Généralité . Il s’en était élevé une à
un lieu nommé Beauregard sur les confins des Dombes
; elle est tombée , de sorte qu’on tire à présent les
bouteilles à Lyon des cantons très éloignés , qu ‘elles
y sont rares et fort chères , une verrerie ne peut être
mieux placée qu’à Givors .
Le
10 mai 1749 , un arrêt royal autorisait la construction
de cette verrerie :
Il
plait à sa Majesté de leur permettre de faire construire
et établir à leurs frais au lieu de Givors près de Lyon
, une verrerie pour y faire fabriquer pendant le temps
et l’espace de vingt années consécutives des bouteilles
et autres ouvrages de verre à la charge de n’employer
pour le chauffage des fours de la verrerie que du charbon
de terre …
Défense
à toute personne de quelque qualité qu’elle soit , de
faire à dix lieues aux environs un pareil établissement
à peine de confiscation et 3 000 livres d’amende .
Ainsi
, la première verrerie givordine naquit le 3 juillet
1749 avec la constitution de la société de la VERRERIE
ROYALE DE GIVORS , formée entre sieurs Michel et autre
Michel Robichon père et fils , aussi maître de verrerie
royale demeurant à Miélin .On fit venir pour la construction
des fourneaux et creusets des terres de Melzieu en Rouergue
(deux mille quintaux) et du Comtat venais sin (six cents
quintaux) . Cette verrerie , prospère dès le début ,
fabriqua jusqu’à cinq cent mille bouteilles . Cinq années
plus tard , en 1754 , il y fut adjoint une verrerie
à vitres .
Un
rapport fort élogieux de la Généralité de Lyon nous
renseigne sur l’état de la verrerie dix sept ans après
la fondation de la Société :
La
verrerie établie à Givors est très considérable et dans
l’état d’exploitation le plus brillant . Il y a cent
à cent-dix ouvriers de tout genre attachés à cet établissement
; plusieurs sont mariés et ont des enfants , de sorte
que l’on peut compter plus de deux cents personnes entretenues
à Givors par cette verrerie .
Les
principaux ouvriers sont étrangers , mais ont fait des
apprentis parmi les gens du Pays qui paraissent goûter
ce genre d’industrie .
Les
ateliers ce cette manufacture consistent en deux verreries
à bouteille. Chacune a deux fourneaux . Chaque
fourneau sert à deux maîtres . Chaque maître a son fourneau
à recuire . Il y a une verrerie à vitres dont le fourneau
sert à dix maîtres . L’
aplatissage
du verre à vitre se fait par des femmes dans sept fourneaux
.
Pour
la préparation des matières , la construction de pots
ou creusets , ainsi que pour les divers magasins , il
y a une grande quantité de bâtiments dont l’énumération
est inutile . Toute cette verrerie travaille au charbon
de pierre , ce qu’on regarde comme unique en France
. Le commerce des bouteilles et des verres à vitre
de la fabrique de Givors est très grand . Cette dernière
partie est à la veille de s’étendre considérablement
dans le Levant …
On
ne peut que souhaiter que le verrerie de Givors se soutienne
dans l’état de prospérité où elle est . Les intéressés
disent qu’ils n’attendent que la décision du Conseil
pour faire construire une verrerie à vitres où ils puissent
satisfaire à tortues les demandes du Levant . Ils présument
que les envois pourront monter à plus de deux cent mille
francs par année pour le seul Levant. Ces envois
sont composés de verres bleus , jaunes , verts , de
blancs carrelés ou à losanges , de rayés ou cannelés
. On a été content des premiers qu’ils ont expédiés
.
Suivent
d’autres considérations techniques et aussi quelques
doléances quant au renchérissement des matières , et
entre autres , du charbon . Et le rapport de la Généralité
de Lyon s’achève sur cette phrase qui nous conduit vers
un nouveau développement :
La
construction du Canal de Givors dont l’entrepreneur
est toujours zélé fera diminuer considérablement le
prix de cette denrée .
LE
CANAL DE GIVORS
Ce
canal que d’aucuns attendaient avec enthousiasme fut
la grande entreprise du XVIII° siècle . Dès 1749 , Barthélemy-Aléon
de Valcourt conçut un projet de réunion de la Loire
au Rhône par le canal . Mais son projet n’ayant obtenu
aucun appui fut abandonné en 1751 . Quelques années
plus tard , un maître-horloger lyonnais du nom de Zacharie
reprit le projet et obtint le 28 octobre 1760 un arrêt
du Conseil et le 6 septembre 1761 les lettres patentes
autorisant la construction du canal entre Givors et
Rive-de-Gier.Lorsque Zacharie mourut , le 22 ami 1768
, épuisé par la tâche et les difficultés sans cesse
rencontrées , ayant englouti toute sa fortune dans cette
œuvre , il sembla bien que le canal resterait inachevé
. Mais le 30 septembre 1770 , des lettres patentes donnèrent
à Guillaume , fils aîné de Zacharie , une prolongation
de vingt ans à la concession primitivement accordée
, et les travaux reprirent . Enfin ceux-ci furent terminés
au mois de mai 1780 et le canal livré à la circulation
en décembre de la même année .
L’essor
rapide du canal entraîna l’élimination brutale d’un
aspect traditionnel du commerce local . Nous lisons
dans le registre des délibérations du conseil municipal
de Givors , à la date du 17 Août 1788 :
La
paroisse de Givord pouvoit autrefois acquitter ses impositions
par rapport à son industrie , mais ses ressources sont
entièrement perdues pour elle ; les concessionnaires
du Canal se sont emparés absolument de son commerce
. Le commerce qui se faisoit avant la navigation de
ce canal dans la paroisse de Givord consistoit principalement
en charbon de terre qui y étoit journellement transporté
des carrières de Rive-dfe-Gier par plus de 1 200 mulets
, ce qui donnoit le débouché des vins et autres denrées
et en procuroit la consommation ; de la dérivoit une
autre branche de commerce très importante qui étoit
celui du foin , du son et de l’avoine , parce que les
voituriers qui amenoient le charbon à dos de mulet achetoient
en compensation toutes ces différentes denrées sur lesquelles
chacun bénéficioit . Ces branches de commerce se trouvent
aujourd’hui détruites pour le fait du Canal , on ne
peut plus désormais compter sur l’industrie qui rendoit
cette paroisse florissante ; il ne reste donc que son
sol peu précieux qui soit représentatif de son imposition
.
LES
MARGOULINS
L’ouverture
de la navigation du Canal de Givors ne combla pas les
espérances de nos maîtres de verreries . Elle contribua
surtout à faire hausser le prix des houilles . Mais
en même temps , elle en accrut dans des conditions extraordinaires
l’exportation . Nous empruntons à l’œuvre d’Etienne
Abeille le tableau suivant :
ANNEES HOUILLE MARCHANDISES
DIVERSES
Quintaux Quintaux
Décembre
1780
Et
année 1781
339 380
8 053
1782
628 776
18 485
1783 1
217 927
56 609
1784
813 032
58 568
1785 1
002 531
90 497
1786 1
071 708 106
733
1787 1
338 771 119
975
1788 1
065 406
89 660
1789 1
347 571 102
556
La
seule lecture de ce tableau nous montre combien l’activité
commerciale de Givors grandie de l’inauguration de cette
nouvelle voie de communication . Si l’on suppose que
l’on pouvait charger sur une barque du canal environ
deux tonnes et demie de charbon , ce qui n’est pas énorme
, il faut calculer que pour transporter un même poids
à dos de mulet, trente animaux sont nécessaires
et demandent trois hommes pour leur conduite .
Le
même auteur nous renseigne sur la façon curieuse dont
les barques étaient halées :
Pour
le remorquage , on employait non des chevaux ou des
ânes , mais des hommes, auxquels on donnait le
nom de « Margoulins » … Les Margoulins , bricole à l’épaule
, tiraient sur la maillette attachée à l’avant de la
barque et faisaient lentement avancer le convoi , dont
la marche paresseuse était souvent retardée par la nécessité
d’écluser d’un plan d’eau à l’autre …
Margoulin
et marinier aidaient à la manœuvre dans l’écluse , ouvrant
les vannes permettant d’élever ou d’abaisser le plan
d’eau dans le sas , selon que le bateau devait descendre
ou remonter la pente ; ce résultat obtenu , il fallait
ouvrir les portes à grand renfort de barres pour livrer
passage à la barque : manœuvre assez longues sinon fort
pénibles et qui retardaient d’autant la marche des convois
.
La
barque une fois lancée , l’effort de l’homme n’était
pas considérable : il s’agissait de maintenir l’impulsion
une fois donnée ; mais lorsqu’il fallait sortir du sas
où le bateau s’était immobilisé , il n’en allait pas
de même ; alors le Margoulin arquait les reins. frappait
le sol de ses sabots ferrés , tel un cheval qui démarre
.Et le marinier l’aidait en poussant de la harpie fichée
contre les parois de l’écluse ! Et vogue la galère !…
La
navigation sur le canal était si active , elle amenait
tant et tant de barques au bassin de Givors , qu’il
était parfois possible , au dire des anciens , de traverser
le bassin d’un bord à l’autre en passant d’une barque
sur l’autre .
Et
pendant tout ce temps , la ville de Givors connaissait
une remarquable prospérité. La population qui était
de 1 000 habitants en 1700 , atteignait 2 975 habitants
un siècle plus tard . Des quartiers neufs naissaient
: celui des Verreries à l’Est du Bourg , celui du Canal
au Nord . La révolution de 1789 confiait les destinées
de la ville à des administrateurs élus , soucieux d’urbanisme
, Un peu plus tard , la Société des Graviers du Gier
se constituait pour endiguer le Gier , gagner quelques
terrains pour la construction , lancer le premier pont
de bois sur le Gier , torrent capricieux soumis aux
crues du Rhône , tracer la grande artère qui facilitera
la circulation du port de Givors au Canal et à Lyon
.
Mais
la fin de la navigation était pourtant proche . Le canal
qui , autrefois , avait ruiné les muletiers qui hantaient
l’étroit couloir du Gier , allait connaître à son tour
la concurrence mortelle du chemin de fer .
LA
JUMENT NOIRE
Tout
commença en cette matière par une maladresse de la Compagnie
du Canal , trop gourmande de bénéfices :
« Le
tarif que les lettres patentes de 1779 lui avaient concédé
n’avait jamais été perçu dans son intégralité lorsque
le 29 août 1821 , la Société du Canal décida que ce
tarif serait perçu intégralement , et que dès le 1 octobre
1821 , il serait payé 25 centimes au lieu de 12 centimes
½ pour 50 kilos de marchandises autres que la
houille .
Cette
décision imprévue et maladroite porta le trouble chez
les industriels et commerçants qui employait le Canal
, et jeta le discrédit sur l’entreprise . Elle eut ,
en outre , pour résultat d’éveiller les appétits et
de provoques la concurrence . »
Dès
1824 , des bruits courent concernant la liaison de Saint-Étienne
à Lyon par voie ferrée ; des compagnies se présentent
pour réaliser cette voie . Le 13 février 1825 , le Préfet
de la Loire désigne le terrain à acquérir par la Société
future du chemin de fer. Un an plus tard , le directeur
des Ponts et Chaussées annonce par affiches et voie
de presse une adjudication pour l’exécution de cette
entreprise . Ce chemin sera adjugé le 26 mars 1826 et
, le 7 juin de la même année , M.M. Seguin , Biot et
Cie recevront l’autorisation de construire .
Ouverte
à l’exploitation en trois étapes : Givors Rive-de-Gier
le 28 juin 1830 , Lyon Givors le 3 avril 1832 , et Rive-de-Gier
Saint-Étienne le 1 octobre 1832 . Cette nouvelle voie
de communication provoqua à ses débuts un intérêt extrême
parmi la population , ainsi qu’en fait foi ce texte
du Docteur Brachet :
« Le
chemin de fer est en pleine activité de Givors à Rive-de-Gier
; il a dépassé toutes les espérances des entrepreneurs
sous le rapport des moyens de transport .On n’osait
espérer qu’une pente aussi douce que celle de Rive-de-Gier
au Rhône fût suffisante pour faire marcher avec vélocité
les wagons . Eh bien vingt wagons abandonnés à leur
propre impulsion , se rendent à Givors avec une rapidité
telle qu’en vingt minutes ils parcouraient près de trois
lieux , si l’on avait pas la précaution de les enrayer
un peu , afin d’éviter les accidents qui pourraient
résulter d’une semblable vélocité . »
Bientôt
, une locomotive allait serpenter sur ces rails métalliques
qui empruntaient la vallée du Gier . Avec cette « JUMENT
NOIRE » comme l’aimaient alors à l’appeler les paysans
d’autrefois . Givors venait d’entrer dans l’ère de la
vapeur , dans l’âge de la révolution scientifique et
technique .
LE
VERTIGE
C’est
alors qu’une sorte de vertige s’empare de la population
locale . Toujours le Docteur Brachet , érudit local
, n’hésite pas à affirmer que Givors va devenir « le
centre des expéditions commerciales du midi ; c’est
dans cette ville que s’établiront avant peu les commissaires
. » Un autre , César Bert Holon , lui fait écho dans
la notice qu’il consacre à la ville de Givors et rêve
d’une cité appelée à compter 100 000 habitants :
« Nous
ne pouvons nous empêcher d’admirer en idées ce vaste
et magnifique atelier, où le verre , la fonte et
l’acier , dociles sous l’action de vingt fourneaux et
tourmentés par des mains infatigables , revêtent mille
formes ; où la silice et l’argile se changent en vases
élégants ou utiles pour répondre aux fantaisies de l’opulence
, ou servir aux besoins du pauvre . Nous entendons mugir
de puissantes machines à vapeur ; le bruit des marteaux
, le grincement des limes se mêlent au fracas plus lointain
des mécanismes hydrauliques qui servent de moteurs aux
usines établies dans la vallée du Gier …
…Le
soir , nous aimons à voir sur un ciel dont l’azur est
obscurci par des nuages de fumée , la flamme rouge des
hauts fourneaux , et le matin , notre regard se complait
à suivre , sur le fleuve ou sur les rails du chemin
de fer , ces flottilles de lourds bateaux , ces longues
files de wagons chargés de produits de toute sorte ,
qui vont , par les milles voies de communication rayonnant
autour de Givors , se répandre dans la France et dans
l’Europe entière .C’est ainsi que l’esprit impatient
rejette avec dédain le présent , et se plait à s’élancer
dans l’avenir . »
Il
est vrai que tant de changements se sont produits en
très peu de temps . Un nouveau quartier est venu se
grouper autour de la Gare de Givors-ville ,entre la
Freydière et le Bourg primitif . Un nouveau port , creusé
dans les terrains conquis par la Société des Graviers
du Gier , La Gare d’eau , est venu associer étroitement
le chemin de fer à la navigation fluviale . Mis en service
après 1830 , son succès fut tel que les 569 729 tonnes
manipulés en 1835 , le classaient premier port rhodanien
devant Lyon (295 522 tonnes) .
Cette
activité , les facilités d’approvisionnement et d’expédition
des produits finis , permirent à des industriels hardis
de s’installer sur les terrains de la plaine alluviale
. Des hauts fourneaux sortirent de terre : le premier
en 1839 , le second en 1845 , le troisième en 1855 .
A
la sidérurgie vint s’ajouter la métallurgie . Ainsi
la société Parent Shaken et Cie qui , née en 1861 ,
deviendra cinq ans plus tard la Société Fives-Lille-Cail
. A son actif : des ponts , des grues , des locomotives
, et une foule de produits industriels .
La
ville elle-même connut des modifications importantes
. Un quai ombragé de beaux platanes vint embellir la
rive droite du Rhône depuis le pont de Chasse jusqu’à
l’embouchure du Gier . Prolongé du Gier au bassin par
un quai de la Navigation , il allait permettre aux bateaux
à vapeur de venir s’y amarrer . Parallèlement , un magnifique
Hôtel-de-Ville sera inauguré en 1860 . Les communications
routières et ferroviaires seront sans cesse améliorée
.
ET
POURTANT…
L’avenir
n’a point comblé les espérances de ceux qui nous ont
précédé sur ce sol . La navigation a délaissé la Gare
d’Eau comme elle avait antérieurement abandonné le Bassin
du Canal . Le Canal délaissé par la Batellerie , envahi
par les joncs , a été comblé pour laissé place à l’autoroute
Lyon-Saint-Etienne . Le chemin de fer a mal supporté
la concurrence de la route et l’abandon des houillères
de la Loire
L’industrie
locale a cruellement souffert des crises économiques
de la fin du XIX° siècle et du début du XX° .
Texte
de Julien Page et Jean-Michel Duhart publié en avril
1978 sous le titre : »Abrégé des principaux éléments
de l’histoire de Givors »
In
Les Cahiers de l’Académie de Souillat n° 1 .
|