LES
TISSERANDS AUTOUR DE ROUBAIX-TOURCOING
Le
Peigneur de laine et le Tisserand
Un
peu d’histoire
Bien
que l‘emploi du peigne soit attesté dès l’époque romaine
, on dispose de peu d’information sur ce métier jusqu’à
la Renaissance . Ce n’est qu’à partir de cette époque
que les étoffes fines et les draperies vont se développer
. Dans le Nord , et plus particulièrement à Tourcoing
les peigneurs de laine représentent alors 30% des professions
. Cela restera vrai jusqu’au Second Empire : “On comptait
, en 1789 , dans tout l’arrondissement , 2000 peigneurs
, dont les 4/5 à Tourcoing...” .
Le
travail du peigneur
Le
peigneur travaille assis protégé par un tablier de cuir
. Il pose un premier peigne (fixe) et démêle (on dit
détouiller) la laine à l’aide d’un second peigne . Les
peignes doivent être chauffés pour améliorer la flexibilité
du poil . Pour que le travail soit plus facile , la
laine est enduite de beurre (qui n’est pas du beurre
de ferme , mais un beurre rance venant le plus souvent
de Russie ) . Le peigneur consomme environ 6000 livres
de beurre par semaine pour fabriquer une vingtaine de
kg de laine .
La
situation géographique
Le
Ferrain , La Pévèle et Le Mélantois composent la région
fabrique ; c’est-à-dire la zone d’où provenaient les
matières textiles servants à la production des fabricants
de Roubaix et de Tourcoing .Cette région est très copieusement
irriguée , ce qui est un atout indispensable pour les
travaux textiles : lavage , teinture , etc ... L’ ensemble
de cette région était déjà très peuplée depuis longtemps
. Rien que dans les villes et les villages , on compte
100.000 habitants en 1800 , pour atteindre 170.000 en
1850 . Tourcoing et Roubaix à elles seules totalisent
plus de 50.000 habitants en 1850 , et la population
ne cessera de s’accroître .
Les
contraintes douanières
Les
contraintes douanières commencent à l’époque de la Révolution
. La création de fabrique ou d’usine près de la frontière
nécessite l’autorisation du préfet et l’avis du directeur
des douanes . Après une période floue , le rétablissement
de la frontière en 1816 complique la situation . Il
est alors défendu de faire tisser dans les communes
belges; “Toutes les communes qui se trouvent dans
les deux myria-mètres des frontières de terre sont assujetties
au régime des douanes...”
L’apparition
et la diffusion du métier Jacquard en 1830 , augmente
encore les contraintes . La douane fait une distinction
entre les métiers Jacquard et les métiers classiques
, sans qu’aucune justification ne vienne étayer ce distinguo.
Les métiers Jacquard sont alors interdits à l’est
de Roubaix et Tourcoing et dans la zone frontalière
. Ce n’est qu’en 1840 que cette interdiction tombera
, avec cependant la restriction suivante : les tisserands
ne pouvaient couper la pièce qui était sur le métier
qu’en présence des douaniers. Ceux-ci étant évidemment
bien moins nombreux que les tisserands , l’attente pouvait
durer jusqu’à 2 ou 3 jours , avec le manque à gagner
que cela impliquait .
Les
types d’entreprises
Les
types d’entreprises sont très variés ; on distingue
essentiellement les peignages de laine , les filatures
de coton et de laine , les fabriques de tissus . mais
la réalité est plus complexe : beaucoup d’entreprises
cumulent deux types (peignage et filature , filature
et tissage , ...) .Certaines fabricants contrôlaient
toutes les phases de la fabrication en dirigeant un
atelier de filature , des tisserands à domicile et un
atelier de tissage . Chaque entreprise peut comporter
d’une dizaine à une centaine d’ouvriers couvrats jusqu’à
vingt métiers différents .
Il
est très difficile de déterminer une taille moyenne
d’entreprise à cause de la variété de celles-ci . Jusqu’à
la fin du XVIII° siècle les entreprises modestes sont
majoritaires ; il s’agit souvent d’artisans travaillant
à domicile avec leur femme ou de petites fabriques .
Dans la première moitié du XIX° siècle , la mécanisation
aidant , on constate une diminution des petites et moyennes
entreprises (jusqu’à 50 ouvriers) et une augmentation
des entreprises plus importantes . Cette tendance ne
fera que se confirmer au fil du temps ; on trouvera
au XX° siècle des entreprises de plusieurs milliers
d’ouvriers .
Main
d’œuvre féminine
De
tous temps , la main d’œuvre féminine a toujours été
très importante dans le domaine du textile . Dans la
région de Saint Amand on comptait en 1789 plus de 2000
fileuses . Dans cette même région , en 1826 , elles
représentaient 90% des ouvriers du textile . Cette proportion
est surtout valable pour le travail à domicile . A Roubaix
en1852, il y a 22.500 ouvriers employés dans le
textile ; parmi eux on trouve 12.000 femmes ou filles
.
Le
tisserand à domicile et ses contraintes
L’engagement
réciproque est un élément important de ses relations
avec le fabricant . Celui-ci est tenu d’informer le
tisserand qu’il lui remettait la dernière chaîne à confectionner
. Toutefois une chaîne permettant de tisser deux pièces
, ce point était souvent source de litige . Quand le
tisserand avait terminé sa pièce , il l’apportait au
fabricant et renégociait parfois le prix de façon décidé
au départ .
Le
fabricant était tenu au départ de noter la quantité
de matière délivrée . Lors de la remise de la pièce
, une pesée permettait de comparer . La différence (appelée
freinte) était composée pour parties de pertes inévitables
dues aux déchets , et aux modifications hygrométriques
; parfois la freinte était aussi la partie prélevée
par le tisserand pour son usage personnel .
La
vie du tisserand
Périodiquement
, à l’aube , le tisserand sort de sa modeste maison
dans de nombreux villages autour de Roubaix ou de Tourcoing
. Sur sa brouette (outil indispensable duquel viendra
le surnom de “broutteux”) , il va porter au fabricant
la pièce qu’il vient de terminer . A l’époque , nombreux
étaient encore les chemins de terre qui traversaient
les campagnes . Ce n’est qu’aux abords de la ville que
l’artisan trouvera des voies pavées où la brouette sera
moins difficile à pousser . En échange de la pièce ,
le fabricant remet au tisserand sa rémunération . Et
le tisserand repart avec la chaîne enroulée sur l’ensouple
et la trame nécessaires à la fabrication d’une autre
pièce , toujours au moyen de sa brouette .
Le
lendemain , pendant que le tisserand prépare le métier
en rentrant les fils de chaîne dans les lisses , sa
femme ou ses enfants sont chargés de confectionner les
canettes (épeules) qui seront placés à l’intérieur de
la navette . Levé dès l’aube , couché souvent après
le soleil , ne s’arrêtant que pour s’alimenter , la
journée du tisserand est rythmée par le va et vient
de la navette dans le métier . Le dimanche est le seul
jour non travaillé . Le matin est consacré au jardin
qui apportera les fruits et les légumes . L’après-midi
se passera à l’estaminet entre une bonne bière , une
longue pipe et les jeux de l’arrière salle .
L’habitat
du tisserand
La
maison du tisserand est en général petite (moins de
50 m²) , ne comporte qu’une porte et une fenêtre . Elle
n’est souvent composée que de deux pièces : La cuisine
avec sa cheminée qui tient lieu de pièce à vivre . L’ouvroir
est la partie réservée au tissage où trône le métier
(“l’otil”) . Cette partie est généralement en terre
battue pour maintenir l’humidité nécessaire au fil .
Sous les combles , la soupente sert de chambre pour
tous .
La
fabrique
Les
obligations - L’engagement réciproque est l’élément-clef
de ces obligations . Il est généralement de 15 jours
. Pendant cette période , le maître ne peut pas licencier
son ouvrier et celui-ci ne peut pas quitter la
fabrique . La période d’essai est une pratique rare
, qu’on retrouve parfois lorsqu’il s’agit de travailler
sur un métier Jacquard . Le livret d’ouvrier doit être
présenté lors de l’entrée dans l’atelier . Ce livret
constituait un moyen de pression de la part des fabricants
; en cas de conflit avec l’ouvrier , son livret ne lui
était pas rendu, empêchant toute embauche postérieure
.
Les
Horaires - Les fabricants sont très stricts sur les
horaires de travail . La journée comporte en général
14 heures (y compris les pauses) . En été on commence
à 5 heures du matin . La pause de midi est de 1 ou 2
heures , complétée par des pauses d’un quart d’heure
dans la journée . Les retards sont sanctionnés par des
amendes . Les absences sont défalquées de la paye .
Le vol est sévèrement puni .
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