LE
LABOUREUR
Le
laboureur incarne , à tort ou à raison ,l’ancien paysan
aisé , même si étymologiquement , il n’est que l’homme
qui travaille et rien de plus . Le mot dérive en effet
du latin labor signifiant travail . Au XVI ° siècle
, labourer signifie toujours
“travailler",“bien travailler”
, avec art , ingéniosité : Et Dieu te fie , a bien faire
son labeure , dit Clément Marot (oeuvres 1538) .
“Au
cours des recherches généalogiques , les professions
indiquées sur les actes laissent quelquefois perplexe
et hésitant sur le sens à leur attribuer . Beaune-la-Rolande
et sa région étant le berceau principal de notre famille
, nous trouvons évidemment de nombreux vignerons parmi
nos ancêtres . Mais , d’une génération à l’autre , la
différence de situation surprend souvent . Dans notre
arbre généalogique , nous trouvons, par exemple
, au milieu du 18° siècle un “notaire royal” dont le
père était “laboureur” . Nous nous sommes longtemps
interrogés sur la signification exacte de cette appellation.
Au 18° siècle , qu’était-ce précisément un “laboureur”
?
Une
première réponse nous est fournie par ce bon La Fontaine
dans sa fable “Le laboureur et ses enfants” que nous
avons tous apprise à l’école primaire :
Travaillez
, prenez de la peine :
C’est
le fonds qui manque le moins .
Un
riche laboureur , sentant sa mort prochaine ,
fit
venir ses enfants , leur parla sans témoins .
“Gardez-vous
, leur dit-il , de vendre l’héritage
que
nous ont laissé nos parents :
un
trésor est caché dedans .
Je
ne sais pas l’endroit ; mais un peu de courage
vous
le fera trouver ; vous en viendrez à bout .
Remuez
votre champ , dès qu’on aura fait l’août :
creusez
, fouillez , bêchez : ne laissez nulle place
où
la main ne passe et repasse “ .
Le
père mort , les fils vous retournent le champ
deçà
, delà , partout ; si bien qu’au bout de l’an
il
en rapporta davantage .
D’argent
point caché . Mais le père fut sage
de
leur montrer , avant sa mort ,
que
le travail est un trésor .
Ainsi
donc , et bien entendu , le “laboureur” était un cultivateur
, mais c’était également et surtout un “propriétaire”
; il était plus ou moins riche, mais il laissait à ses
enfants un “héritage de terres” .
En
relisant , trente-cinq ans après une première lecture
oubliée , “ La vie quotidienne sous LOUIS XV “ de Charles
Kunstler (Librairie Hachette) , nous avons une confirmation
de cette interprétation . En effet , nous pouvons lire
au chapitre VIII :
Durant
la seconde moitié du règne de LOUIS XV , la propriété
paysanne se morcelle à l’infini (surtout les vignobles
) et les paysans finissent par représenter près de 90
pour 100 du nombres de propriétaires . Mais ces propriétaires
possèdent , pour la plupart , d’infimes parcelles de
terrain . C’est l’étendue de ces domaines qui détermine
les diverses classes paysannes . Pour vivre de la culture
de ses champs , il faut posséder au moins cinq hectares
. Ceux qui remplissent ces conditions constituent une
sorte d’aristocratie villageoise , la classe des laboureurs
. Mais rares sont ces privilégiés ; le plus grand nombre
possède au plus un hectare . Aussi sont-ils obligés
de travailler pour autrui . Disposent-ils de quelques
avances , ils sont fermiers ou métayers . Sont-ils dépourvus
de tout bien , ils sont journaliers ou domestiques .
Pour
cultiver le domaine ... une seule pensée le hante :
épargner et employer ses épargnes à acheter des terres
, à s’arrondir ...
Les
agents du fisc et des tailles dénombrent , d’un oeil
satisfait , ces humbles richesses . Leurs exigences
obligent trop souvent le villageois à vendre ses bestiaux
pour payer ses tailles ... “
Un
peu plus loin , nous lisons :
“
Beaucoup de petits propriétaires ruraux ne se contentent
pas de cultiver leurs champs . Pour améliorer leur sort,
ils exercent un métier d’appoint, sont meuniers
, maçons , charpentiers , tailleurs , bourreliers ,
charrons , cordonniers , cabaretiers , maréchaux-ferrants
, maître de postes ...”
Ce
qui précède explique les qualifications un peu surprenantes
relevées dans des actes : “aubergiste et laboureur”
, “chirurgien et laboureur” .
Cette
lecture nous a permis de mieux comprendre notre généalogie
. Elle nous a aidés à faire revivre nos ancêtres : ainsi
, ils ne sont plus des numéros et des noms , mais des
êtres de chair et de sang avec leurs soucis et leurs
aspirations , avec leur “vie” .
Le
Laboureur dans la société
La
France des terroirs se nomme en effet diversité . Depuis
longtemps , les géographes et les historiens , comme
Marc Bloch ou Roger Dion , ont mis en évidence différents
systèmes agraires . Le modèle bocager caractérise les
provinces de l’Ouest : Bretagne , Normandie , Poitou
. Le système des champs ouverts domine dans les provinces
septentrionales : Île-de-France , Beauce , Artois ,
Picardie et , dans une moindre mesure , Bourgogne et
Lorraine . L’agriculture intensive s’exprime à la flamande
(depuis Dunkerque jusqu’à Douai) ou à l’Alsacienne .
La polyculture , associée à l’élevage, règne dans
les pays de montagne : Auvergne , Cévennes , Dauphiné
, Jura , Vosges , Pyrénées . L’agriculture méditerranéenne
(Provence , franges du Languedoc) repose sur l’olivier
, le mûrier , mais aussi sur l’élevage caprin et ovin
. Il faut ajouter tous les intermédiaires , les influences
, les systèmes mixtes ... On ne peut pas partir à la
recherche de ses ancêtres paysans sans utiliser les
cadastres , les terriers ou les compoix, pour connaître
les terroirs et le cadre de vie dans lequel évolue nos
laboureurs .
Au
XVI° siècle , les contemporains répartissent la société
en trois ordres (clergé , noblesse , tiers état) ou
en trois groupes (riches , médiocres , pauvres) mais
aussi parfois en six ensembles : les clercs , les nobles
, les magistrats , les bourgeois , les artisans et les
laboureurs . C’est le cas de Guillaume de la Perrière
dans son Miroir politique , publié à Lyon en 1555 .
A l’évidence , la catégorie des laboureurs regroupe
l’ensemble des paysans. Charles loyseau , auteur
d’un Traité des ordres paru au début du XVII° siècle
, présente l’échelle des dignités au sein du tiers état
. Il définit les laboureurs comme étant “ceux qui ont
vocation ordinaire de labourer pour autruy comme fermiers”
. Le laboureur , ici , n’est donc pas un gros propriétaire
indépendant mais un simple fermier .
Toutefois
, dans la société villageoise , très éloignée des fortunes
de la Cour , les laboureurs dominent . Ils représentent
à peine 10% de la population , mais payent 80 % de la
taille . Ces laboureurs se sentaient sans doute “matraqués”
fiscalement . En effet , cette imposition cache parfois
, non l’aisance , mais une situation difficile . Les
deux tiers des laboureurs sont endettés , souvent dépourvus
de cheptel , et peuvent être considérés comme “dépendants
, socialement et économiquement” .
Le
mot laboureur caractérise surtout le XVII° siècle .
Il sera ensuite remplacé par le mot cultivateur . Mais
le mot “laboureur” subsistera dans les provinces de
l’Ouest et du Centre , depuis la Bretagne jusqu’au Forez
et à l’Auvergne .
Le
laboureur au travail
La
grande variété des situations agraires rend impossible
un tableau uniforme . On peut énumérer les différentes
tâches du métier : préparer la terre (essarter , épierrer
, aménager les fossés ) , labourer ( avec bœuf , cheval
, mulet , âne ) , fumer la terre , semer , sarcler ,
moissonner , conserver les blés . Il fait aussi de l’élevage
. Il possède des terres arables , des bois et parfois
de la vigne .
Le
laboureur chez lui
Dans
l’histoire des Boud’huile , on trouvera les inventaires
permettant de situer les biens et leur répartition dans
le cas de succession .
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