HISTOIRE
DU PAIN
Naissance
du pain en Égypte
Manger
du pain ne date pas d’hier . On s’accorde même à faire
remonter cet acte alimentaire à l’époque du néolithique
en Égypte . Les premières représentations connues du
pain se rencontrent sur les murs des tombeaux de l’ancien
Empire soit trois mille ans avant notre ère .
C’est
aux Égyptiens que l’on doit d’avoir découvert la fermentation
. Cette maîtrise technologique alliée à la maîtrise
mécanique du four est à l’origine du pain .
Utilisé
comme offrande aux dieux ou comme provision en voyage
pour le défunt , le pain va peu à peu prendre une importance
considérable dans la vie quotidienne des Égyptiens jusqu’à
devenir un aliment essentiel mais aussi une monnaie
. Ainsi les ouvriers agricoles étaient-ils payés avec
3 pains par jour et un fonctionnaire 100 galettes et
3 pains fins de froment . Un e quinzaine de variétés
de pains existe à cette époque : les galettes plates
avec un décor de cercle au milieu et sur les côtés
ou percés de huit trous en cercles , les galettes en
triangle , les galettes pliées en deux , les pains de
blé de céréales mélangées , les pains en disque , les
pains bombés coniques , en spirales , en croissant ,
les pains au miel , les pains au levain , les pains
à la levure de bière .
Le
pain chez les Hébreux
Traditionnellement
les hébreux n’étaient pas consommateurs de pain . Nomades
, ils se nourrissaient avant de la viande de mouton
qu’ils élevaient . Leur premier contact avec le
pain eut lieu en esclavage en Égypte . Le pain qu’ils
connurent avait la forme de galettes levées cuites sur
des pierres chaudes . Ils y prirent goût rapidement
. A tel point que la terre promise atteinte , Dieu leur
promet : « Si vous suivez Mes lois (…) vous aurez blé
et pain en abondance » .
Une
véritable culture du pain commence à naître qui distingue
fréquemment pain levé de pain azyme(non levé)
. Le pain levé est plutôt un aliment quotidien et le
pain non levé un objet d’offrande divine . Contrairement
aux Égyptiens , les Hébreux considéraient en effet le
pain levé comme impur , car issu d’une certaine forme
de putréfaction . Pour célébrer la Pâque en souvenir
de la sortie d’Égypte les écritures disent : « On
mangera des azymes pendant sept jours ; on ne verra
pas chez toi de pain levé , ni dans tout ton territoire »
(Exode, XIII,7) .
Enfin
le procédé de fabrication du pain fonctionne aussi comme
un signe de reconnaissance sociale : les riches se nourrissent
de pains levés à la fine fleur de farine de froment
, les pauvres de pains de farine d‘orge .
Le
Christianisme
Avec
la naissance de Jésus à Bethléem , ville dont le nom
signifie d’ailleurs « ville du pain » en araméen , le
pain va prendre une dimension inconnue jusqu’alors .
Largement
distribué dans les très nombreuses boulangeries professionnelles
qui fleurissent dans les villes de Palestine , le pain
aliment le plus répandu à cette époque , va devenir
le symbole du Christ même : « Prenez et mangez . Ceci
est mon corps » (Mattheu XXVI,26) ou encore : « Je
suis le pain , celui qui vient vers moi n’aura pas faim »
(JeanVI,26,27,35)
.
En
s’identifiant au pain , le Christ lui confère une dimension
définitivement sacrée , qu’il conserve encore aujourd’hui
pour toute une partie de l’humanité . Seules ont presque
disparu les coutumes consistant à ne pas donner du pain
aux animaux , à faire le signe de croix sur le pain
avant de le rompre , à embresser le pain tombé du sol
comme pour racheter la faute de l’avoir laissé choir
, à ne pas poser par signe de respect le pain à l’envers
, etc…
Essor
de la Boulangerie chez les Grecs
Dans
la Grèce antique , le pain le plus courant est une galette
d’orge non fermentée cuite sur une pierre chaude (maza)
. Les jours de fêtes , on mange un pain de blé dont
la pâte peut contenir de l’huile d’olive . Peu à peu
le pain va quitter l’aire domestique pour les fournils
des boulangers professionnels . Dès lors , le four remplace
définitivement les archaïques cloches de terre posées
sur une pierre ou les moules chauffés .
Les
levains ne sont plus préparés seulement avec des restes
de pâte de la veille , mais au moment même de la récolte
avec un mélange de houblons et de moût de raisins .
Au
II° siècle avant J-C on dénombre dans les boulangeries
d’Athènes pas moins de douze variétés de pains et de
gâteaux : pins d’orge pour les pauvres ou pains de seigles
importé d’Égypte , pains de farine d’épeautre ou de
froment barbu ; miches rondes de farine de blé , pains
à l’huile au lait et au poivre , pains au fromage ,
pain blanc de farine de froment bien tamisée ou enfin
, pains levés aromatisés aux herbes ou garnis d’olives
, qui révolutionnèrent littéralement l’art du boulanger
.
L’importance
symbolique du pain est si prépondérante que le culte
de Déméter , « déesse des grands pains et des moissons »
, devient la religion officielle d’Athènes .
Rome
: amélioration des techniques
Si
l’on croit Platon , à l’époque où les boulangeries d’Athènes
regorgeaient de pains délicieux , les romains considéraient
la fermentation fortuite de la pâte comme une catastrophe
.
Il
faut attendre le II° siècle avant J-C pour que les premiers
boulangers professionnels apparaissent . Dès lors ,
des progrès techniques considérables sont apportés à
la fabrication . Le premier concerne le pétrissage de
la pâte pour lequel les romains inventent l’ancêtre
du pétrin mécanique : une cuve cylindrique dans laquelle
un bras artificiel est agité grâce à un mécanisme hipomobile
. Cet instrument particulièrement futuriste , n’aura
pas de descendance avant deux mille ans !
Les
pains mis en forme étaient enfournés dans des foyers
maçonnés en brique, des fours à sole plate et à toit
en voûte , très semblable aux fours à bois d’aujourd’hui
. Cette maîtrise technique permettait de fabriquer des
pains de toutes de formes mais ceux qui avaient le plus
de succès et qui étaient censés stimuler l’appétit des
convives , étaient les pains « grivois » ou « obscènes »
dont plusieurs exemplaires ont été retrouvés intacts
dans les ruines de Pompéi.
Rome:
du pain et des jeux
C’est
tout ce que le peuple inactif sait réclamer selon Juvénal
(Satires X,81) , à la fin du 1° siècle , alors que les
emplois productifs sont occupés par des émigrés issus
des provinces orientales .
Car
tous les raffinements et tous les progrès technologiques
réalisés dans la fabrication du pain à Rome ne peuvent
masquer une constante : la misère . Très tôt , pour
éviter les troubles , les Empereurs distribuent gratuitement
le pain aux chômeurs de plus en plus nombreux .Bientôt
, le phénomène prend une ampleur inouïe et le nombre
de bénéficiaires quintuples en moins d’un siècle . A
la fin de l’Empire romain , ce droit au pain gratuit
devient un droit héréditaire et le jeton (la tessara)
que l’on doit présenter contre le pain , se transmet
de père en fils !
C’est
cet assistanat poussé à son paroxysme en même temps
que la cupidité des aristocrates inactifs enrichis par
le commerce colonial et l’accroissement du nombre de
paysans sans terres prolétarisés dans les faubourgs
de Rome , qui sera une des causes de l’effondrement
de l’Empire à l’arrivée des « barbares » en 476 après
J-C .
Le
pain complice du développement de la plupart des grandes
civilisations méditerranéennes pouvait aussi en sonner
le glas .
Europe
féodale
Bien
que les techniques ne cessent de s’améliorer , le fossé
ne cesse de se creuser entre le pain des pauvres et
le pain des riches .
Côté
technique : collier d’attelage , fléau à battre et moulin
à vent (au IX° siècle en Angleterre mais seulement au
XII ° siècle en France).
Le
régime féodal oblige que le grain et le pain n’appartiennent
pas à celui qui les cultive . Ils appartiennent au seigneur
qui possède les moulins à farine et les fours « banals »
utilisables contre paiement d’une redevance .
Entre
les XI° et XIV° siècles , les campagnes européennes
connaissent de fréquentes famines . Le pain des pauvres
est alors rarement constitué de froment pur , mais d’un
mélange de méteil , d’orge et de froment à peine tamisé
. A cette époque apparaisent aussi les pains de famine
: pains de farine mêlée de paille , d’argile ou d’écorces
d’arbre broyées , de farine de gland , de racines ,
ou d’herbes pilées , , le tout plus ou moins cuits sous
la cendre …et franchement insipide !
Au
château , les seigneurs mangent des viandes découpées
en lamelles et posées sur des assiettes en pain bis
, les « tranchoirs » . A la fin du repas ces assiettes
, imbibées des graisses et jus de viande , sont traditionnellement
données aux paysans . C’est leur seul luxe alimentaire
.
Le
pain est plus que jamais un moyen de reconnaissance
sociale à tel point qu’il porte le nom de la caste à
laquelle il s’adresse : « pain de cour », « pain de
pair » , « pain de pape » , « pain de chevaliers » ,
« pain d’écuyers » , et même « pain de valets » .
Il
faudra attendre 1260 pour que les boulangers parisiens
s’organisent en corporation placé sous l’aitorité royale
. Un peu plus tard sous Charles V , ils acquièrent le
droit de fabriquer trois sortes de pains : pain blanc
bourgeois , pain brun et pain noir de seigle « armé
de toute sa fleur de son » .
Famines
de l’Ancien Régime
A
partir du XVI° siècle tout se gâte . La misère croissante
des campagnes pousse dans les villes des populations
affamées et le prix des céréales s’accroît de façon
démesuré . Les découvertes aurifères des conquistadores
provoquent une inflation considérable dans toute l’Europe
. Les sociétés sont profondément bouleversées .
Au
XVII° siècle , les disettes continuent avec quelques
dates particulièrement tragiques : 1643, 1661-1662,1683,1693
. Les révoltes croissent partout en Europe et la loi
est sévère : un enfant qui vole un pain est condamné
aux galères à vie .
Dans
la France du XVIII° siècle , le problème le plus grave
n’est pas le manque de pain , mais le prix du pain .
Les pains n’ont jamais été aussi beaux et les boulangeries
jamais aussi bien fournies , mais seuls les nantis peuvent
les acheter . Le traité de panification « Le parfait
boulanger » de Parmentier (le découvreur de la pomme
de terre) publié à la veille de la révolution , fait
état de toutes les techniques , y compris les plus avancés
comme celle de la fermentation au levain naturel , l’ajout
de sel dans la pâte et l’utilisation de la levure de
bière déjà employée dans le pain « mollet » , le favori
de Louis XIV .
La
Révolution
C’est
le besoin de pain qui déclencha la Révolution Française
.
Les
très mauvaise conditions climatiques de l’année 1788-1789
alliées à des conditions économiques dramatiques vont
provoquer une des plus importantes famines de l’histoire
. Au moi de mai 1789 , le prix du pain atteint des sommets
et personnes ne peut plus se le payer .Les émeutes éclatent
dans les villes de province . Et lorsque le 14 juillet
1789 le peuple en colère s’empare de la Bastille , c’est
pour y saisir surtout le stock de blé qui était supposé
y être entreposé .
Pendant
le mois d’août , les privilèges féodaux sont abolis
. Une sécheresse abominable s’abat sur le pays . Le
pain devient encore plus hors de prix qu’il n’était
. Les responsables sont tout désignés . Le 5 octobre
, une armée de femmes , d’hommes et d’enfants littéralement
affamés marchent sur Versailles et tentent de s’emparer
du roi , de la reine et du dauphin rebaptisés « le boulanger
, la boulangère et le petit mitron » . Des boulangeries
sont attaquées et le peu de farine disponible est rapidement
pillée .
Le
19 juillet 1791 , l’Assemblée Constituante impose des
prix obligatoires au pain et autorise les boulangers
à cuire un seul type de pain : le « pain d’égalité »
fait de farine mélangée de ¾ blé et ¼ de
seigle avec le son . C’est encore au nom de l’égalité
que le blé supplantera en France toutes les céréales
.
En
1796 , la famine n’est toujours pas totalement réduite
mais le pain blanc , apanage des riches , est devenu
officiellement le pain de tous les français .
Évolution
techniques : XIX° et XX° siècles
Les
évolutions techniques se sont produites parallèlement
sur plusieurs fronts : méthodes de fermentation , pétrissage
, fours et minoterie .
-
Dans le domaine des méthodes de fermentation : l’utilisation
de la levure de bière dès 1665 , devait conduire , près
de deux siècles plus tard , à une sorte de levure idéale
inventée par un distillateur de Vienne . La levure issue
de cette méthode se révéla si fiable qu’elle fut utilisée
en Europe jusqu’en 1904 .
Mais
ce fut un boulanger polonais qui franchit le pas décisif
en trouvant le moyen de se passer de levain . Cette
méthode connue sous le nom de « poolish » permettaient
d’obtenir un pain moins acide connut sous le nom de
« pain viennois » . Son succès en France fut considérable
jusqu’aux années 1920 . Puis il fut remplacer par un
nouveau « pain fantaisie » , tout en longueur , à
la croûte fine et craquante et à la mie couleur crème
, légère et alvéolée célèbre sous le nom de « baguette »
, « bâtard » , ou « ficelle » .
-
Dans le domaine du pétrissage , d’importants progrès
furent réalisés à partir de l’invention du pétrin mécanique
au XIX° siècle . Toutes sortes de mécanismes virent
le jour: pétrin à manivelles , pétrin hippomobiles
sur le modèle des pétrins antiques , pétrin hydraulique
…mais il faudra attendre la fin du siècle et l’apparition
des moteurs à essence et électrique pour des avancées
convaincantes . Au milieu des années 1920 en tout cas
, le pétrissage à bras avait totalement disparu .
-
Les fours bénéficièrent sensiblement des mêmes progrès
. Jusqu’aux années 20 , on emploiera toujours une version
améliorée des fours à bois . Puis les boulangers équiperont
leur four de brûleur au gaz ou au mazout . Les fours
électriques les remplaceront à mesure que le prix de
l’électricité baissera .
-
La minoterie moderne , quant à elle , est née en Amérique
, à la fin du XVIII° siècle , avec les premiers moulins
à vapeur . A la fin du XIX° siècle , en Hongrie , les
meules de pierres seront remplacées par des cylindres
de métal . La fine farine issue des moulins hongrois
deviendra célèbre dans le monde entier et aidera à répandre
universellement l’usage des moulins à cylindres de métal
.
-
Enfin avec les découvertes génétiques faites en 1860
par le moine botaniste Gregor Mendel , l’ancestrale
culture du blé elle-même devait connaître des bouleversements
majeurs . Il faudra attendre près d’un siècle pour que
soient appliquées ces méthodes d’hybridations qui donnent
aujourd’hui encore au blé ses incomparables qualités
boulangères .
Évolution
de la consommation : XX° siècle
Au
XX° siècle , le pain a continué à jouer le rôle primordial
qui a été le sien tout au long de l’histoire de l’humanité.
Au
moment de la première guerre mondiale , il servit une
fois de plus d’arme stratégique ; en avril1917 notamment
, lorsque que les USA privèrent l’Allemagne et l’Autriche
de blé précipitant leur chute .
Pendant
la crise économique des années 30 , les français défilaient
dans les rues au cri de « Du travail et du pain » .
Lorsque
l’Allemagne nazie étendit son ombre sur le monde , ses
dirigeants firent main basse sur tous les stocks européens
de blé . On vit alors apparaître les tickets de rationnement
et les pains de substitution : pain de farine de fèves,
de riz , de maïs d’orge et même de pomme de terre
.
Il
était loin ce chef-d’œuvre de la boulangerie des années
30 appelé « baguette » qui fut à l’origine de la réputation
mondiale du pain français !
Dans
les anées 50 , une nouvelle technique de pétrissage
dite « intensifiée » permet d’obtenir , grâce à une
oxydation excessive de la pâte , un pain d’une blancheur
immaculée . C’était exactement ce que réclamait l’époque
lasse des pains grisâtres de la guerre , synonymes de
mauvaise qualité et de rationnement . Mais cette blancheur
aura un prix : la fadeur , l’inconsistance de la mie
et surtout une conservation du pain réduite à quelques
heures .
D’abord
séduits , les français se lassent vite de ce pain .
Alors que dans les années 30 , un français consommait
en moyenne 500 grammes de pain par jour , il n’en consomme
plus que 200 grammes dans les années 70 et 60 grammes
dans les années 80 .
Retour
à l’authenticité
Pain
fabriqué en usine , pré-tranché et pré-emballé , ou
pain blanc cotonneux prétendument artisanal, le
pain des années 60-70 n’a plus grand chose de commun
avec le pain . Le coup final sera porté avec la technique
de surgélation transformant bon nombre de boulangeries
en « terminaux de cuisson » .
Au
début des années 70 cependant , une réaction salutaire
se produisit en France . On vit réapparaître sous le
nom de « miche de campagne » des pains dignes de ce
nom .
Peu
à peu , les boulangers redécouvraient les vertus des
bonnes farines , de la cuisson au feu de bois , du levain
naturel et de la pâte peu pétrie mais longtemps fermentée
. Si bien que l’on peut aujourd’hui retrouver , un peu
partout dans le monde , un pain de grande qualité dégustative
.
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