LA
MEMOIRE REPLIEE DES PRISONNIERS
Peut-on
parler d’une mémoire spécifique des Prisonniers de Guerre
?
Évelyne
Py
On
peut considérer comme assez exceptionnel historiquement
l’enfermement collectif pendant plusieurs années des
forces vives d’un pays. Quel en fut l’impact ? Pacifisme,
rapprochement avec l’Allemagne, propagande communiste,
Pétainiste, honte et repli sur soi ..? demande B.
Si
par prisonniers, vous comprenez "prisonniers de
guerre" retenus dans les stalags et oflags, vous
touchez effectivement à un groupe très nombreux, le
plus nombreux même, et manifestement le plus oublié
et méprisé par la mémoire collective.
Il
y a 1 850 000 prisonniers en 1940. Ils sont encore 940
000 en 1944-45. Beaucoup d’entre eux ne sont libérés
seulement en 44-45 et 37 000 ne rentreront jamais, morts
en captivité. Robert Franck, dans un article des Cahiers
français, montre qu’ils présentent les caractéristiques
des poilus en terme de valeurs : fraternité, solidarité,
et haine de l’Allemand ( dans un premier temps) qui
les a retenus, amplifiées certainement par le long enfermement.
Pourtant, rapidement après guerre, leurs associations
ont été acquises au rapprochement franco-allemand des
années cinquante.
Mais,
à la différence des poilus de 14-18, leur parole a été
discrète et l’écoute rare: ils symbolisaient la
défaite de l’armée de 40, l’origine de l’occupation.
Un pays n’aime pas les soldats vaincus !
Ils
ont souffert des discours et "préoccupations"
de Vichy à leur sujet . Il me semble que le silence
de la "honte" a été pire pour ceux qui ont
été libérés dans le cadre de la Relève. C’est le poids
de la Collaboration et du pétainisme qui s’étend aux
« libérés malgré eux » .
Pour
ceux qui se sont évadés et qui ont parfois ( souvent
? ) rejoint la résistance en 42-43 , le mérite de l’évasion
reste bien confidentiel.
Ils
ont souffert aussi de la "concurrence" des
déportés, dont les conditions d’enfermement étaient
plus "glorieuses" ( la résistance, même si
ce n’était pas l’unique fait de déportation, on l’oublie)
et plus dures - encore que dans certains stalags , la
vie ait été particulièrement difficile - .
Il
est symptomatique de les voir rejetés à la fin de la
guerre par les Associations d’Anciens Combattants de
14-18 et se regrouper dans des associations distinctes
des autres , généralement assez discrètes. Il est symptomatique
aussi de voir ces mêmes associations d’Anciens prisonniers
de guerre s’ouvrir aux prisonniers d’autres conflits,
Indochine et Algérie, qui présentent les mêmes similitudes
: pas de victoire et retour au pays, dans le silence
des vaincus.
Alors oui, il y a eu "mémoire repliée",
un repli imposé certainement par les fameux mythes de
la libération : Résistance et Victoire finale ne laissaient
pas place aux vaincus de 40.
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